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Luberon Photo Nature Adjaya
15 janvier 2006

L’homme qui plantait des arbres

    L’homme qui plantait des arbres

 

(extrait)
Jean GIONO
    « Je remarquai qu'en guise de bâton il emportai une tringle de fer grosse comme le pouce et longue d'environ un mètre cinquante. Je fis celui qui se promène en se reposant et je suivis une route parallèle à la sienne. La pâture de ses bêtes était un fond de combe. Il laissa le troupeau à la garde du chien et il monta vers l'endroit où je me tenais. J’eus peur qu’il vînt pour me reprocher mon indiscrétion mais pas du tout : c’était sa route et il m’invita à l’accompagner si je n’avais rien de mieux à faire. Il allait à deux cents mètres de là, sur la hauteur.
    Arrivé à l’endroit où il désirait aller, il se mit à planter sa tringle de fer dans la terre. Il faisait ainsi un trou dans lequel il mettait un gland, puis il rebouchait le trou. Il plantait des chênes. Je lui demandai si la terre lui appartenait. Il me répondit non. Savait –il à qui elle était ? Il ne savait pas. Il supposait que c’était une terre communale, ou peut-être était-elle la propriété de gens qui ne s’en souciaient pas ? Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires. Il planta ainsi ses cent glands avec un soin extrême.
     Après le repas de midi, il recommença à trier sa semence. Je mis, je crois, assez d’insistance dans mes questions puisqu’il y répondit. Depuis trois ans, il plantait des arbres dans cette solitude. Il en avait planté cent mille. Sur ces cent mille, vingt mille étaient sortis. Sur ces vingt mille, il comptait encore en perdre la moitié, du fait des rongeurs ou de tout ce qu’il y a d’impossible à prévoir dans les desseins de la Providence. Restaient dix mille chênes qui allaient pousser dans cet endroit où il n’y avait rien auparavant.
     C‘est à ce moment-là que je me souciai de l’âge de cet homme. Il avait visiblement plus de cinquante ans. Cinquante-cinq, me dit-il. Il s’appelait Elzéard Bouffier. Il avait possédé une ferme dans les plaines. Il y avait réalisé sa vie. Il avait perdu son fils unique, puis sa femme. Il s’était retiré dans la solitude où il prenait plaisir à vivre lentement, avec ses brebis et son chien. Il avait juré que ce pays mourait par manque d’arbres. Il ajouta que, n’ayant pas d’occupations très importantes, il avait résolu de remédier à cet état de chose.
    Menant moi-même à ce moment-là, malgré mon jeune âge, une vie solitaire, je savais toucher avec délicatesse aux âmes solitaires. Cependant, je commis une faute. Mon jeune âge précisément, me forçait à imaginer l’avenir en fonction de moi-même et d’une certaine recherche du bonheur. Je lui dis que dans trente ans, ces dix mille chênes seraient magnifiques. Il me répondit simplement que, si dieu lui prêtait vie, dans trente ans il en aurait planté tellement d’autres que ces dix mille seraient comme une goutte d’eau dans la mer. »

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